» La reproduction des inégalités sociales par l’école vient de la mise en oeuvre d’un égalitarisme formel, à savoir que l’école traite comme égaux en droits des individus inégaux en fait c’est-à-dire inégalement préparés par leur culture familiale à assimiler un message pédagogique. »
Pierre Bourdieu
L’indice social est une mesure qui est loin de faire l’unanimité parmi les politiques en Suisse Romande du moins. Pourtant, il s’agit d’un outil qui pourrait certainement contribuer à la compréhension des phénomènes que nous constatons en cette période de crise sanitaire. Les témoignages ne manquent pas pour montrer que l’école en « non-présentiel » est une réelle difficulté pour certaines familles. Ces témoignages parfois glaçants, contrastent avec d’autres situations médiatisées où par exemple quatre enfants ont chacun leur ordinateur, un espace pour eux dans une grande maison et même un accès direct au jardin pour prendre l’air lorsque le besoin d’une pause se fait ressentir. Loin de moi l’idée de stigmatiser l’une au l’autre des situations, mais la citation de Pierre Bourdieu prend véritablement tout son sens et mettre en oeuvre un « égalitarisme formel » en ces temps de confinement ne fera que révéler encore plus – si ce n’est reproduire davantage – des inégalités sociales qu’une école publique et régalienne se doit prendre en compte dans son projet pédagogique. Au même titre que chaque organisation scolaire pourra « mesurer la distance qui la sépare d’une école interconnectée qui maximise les chances d’acquérir le bagage utile à l’intégration de chacun« , chaque organisation pourra aussi mesurer à la sortie de la crise que nous traversons, la distance qu’il y a entre son « message pédagogique » et le degré d’assimilation de ce dernier par les familles. On pourra disserter longtemps sur ce qu’est le « message pédagogique », mais il est fondamentalement question ici d’un contrat entre l’école et la famille, un contrat que cette dernière doit être en mesure d’assumer, quelle que soit sa situation socio-économique. Réaliser ce contrat ensemble pourrait passer par la redéfinition des rôles de chacun et les ressources qui sont attribuées.
L’indice social est un concept sur lequel je ne m’étendrai pas ici. En bref, certaines collectivités utilisent cet indice pour allouer les ressources aux établissements scolaires. Plusieurs définitions existent, mais on retrouve souvent une prise en compte dans cet indice pour une population donnée du taux de personne ayant une formation tertiaire vs formation primaire, du nombre de cadres supérieurs vs de profession à basses qualifications ainsi que du revenu (ici pour approfondir).
Dans un avenir proche, en pleine révolution industrielle, la nouvelle typologie des travailleurs couplée à une disparition massive de certains emplois va considérablement modifier le visage de la famille ou plus précisément de l’encadrement de l’enfant en dehors du contexte scolaire. Si le temps de travail diminue considérablement pour tous les niveaux socio-économiques, la disponibilité sera probablement plus grande pour suivre les enfants dans leur progression. Si cette diminution du temps de travail va de pair avec l’acquisition grandissante de nouvelles compétences davantage en phase avec ces nouveaux besoins, tous le dispositif pédagogique va muer. Si l’utilisation généralisée des moyens numériques et de ses atours devient à terme une réalité, l’école devra veiller à ne pas accentuer encore plus la fracture numérique entre parents et enfants. Ainsi, l’établissement qui se démarquera des autres, qui sortira du lot, est certainement celui qui saura établir un nouveau contrat pédagogique avec des rôles clairs pour tous les acteurs. Les parents ne devront jamais devenir les enseignants de leur enfant sous prétexte qu’une partie des apprentissages se font « à la maison », mais il faudra permettre à chacun d’investir la mission qui est la sienne et parfois même, offrir des formations adéquates aux parents pour leur permettre d’acquérir des compétences de base dans le domaine numérique. C’est aussi dans ce domaine qu’il s’agit d’attribuer des ressources. On a beaucoup parlé – à juste titre – d’illettrisme dans la population. Il faut désormais aussi aborder l’illettrisme numérique… contre lequel il faut lutter pour ne pas accentuer encore la « reproduction des inégalités sociales » chère à Pierre Bourdieu.
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