Dans le prolongement de mes recherches sur un thème dont il est question dans mon ouvrage paru le 9 septembre dernier (Laurent Feuz, Se construire dans un univers interconnecté, Ed. Baudelaire, 2020), je tombe régulièrement sur des thèses relativement extrêmes quant à l’avenir de l’école. Parfois exagérées, ces thèses ont l’avantage de susciter le débat au sein de notre société et de mettre en exergue les contradictions auxquelles le système actuel est confronté.
La Déclaration de la Conférence intercantonale de l’instruction publique de la Suisse romande et du Tessin relative aux finalités et objectifs de l’école publique du 30 janvier 2003 (voir ici) – qui fait office de « guide suprême » pour tous les enseignant.e.s de Suisse Romande – attribue à l’école publique la mission de transmettre des valeurs sociales et en particulier d’assurer la promotion de la correction des inégalités de chance et de réussite ainsi que de l’intégration dans la prise en compte des différences. L’organisation même de l’école permet-elle vraiment à ses artisans (terme choisi avec beaucoup de respect pour le corps enseignant) de mettre en œuvre une telle mission ? Tant et aussi longtemps que les attentes fondamentales ne seront pas revisitées et la manière de les atteindre avec, j’ai quelques doutes.

Mais l’évolution technologique est-elle susceptible de corriger des inégalités et d’intégrer davantage ? Laurent Alexandre (entrepreneur, écrivain et militant politique français) imagine quelques conséquences potentielles d’une société qui considérerait que le cerveau est une machine (thèse chère aux transhumanistes), que l’intelligence est liées au cerveau et donc en toute logique que l’intelligence peut-être « boostée » comme un moteur de voiture. Le corollaire immédiat de cette considération est que l’enseignant.e sous sa forme actuelle devient inutile puisque – comme on branche une voiture à un ordinateur lorsqu’il s’agit de trouver une panne – c’est la machine qui devient l’interlocutrice principale de l’élève, une machine en mesure de connaître parfaitement le chemin à suivre pour permettre à l’élève de progresser et d’acquérir des objectifs donnés puisqu’intégrant mieux que n’importe quel humain l’ensemble des connaissances en lien avec le mécanisme de l’apprentissage. Alors ? Fini l’école qui est une machine à fabriquer l’égalité (comme le dit Pierre Bourdieu), fini les salles de classes, fini les difficultés à intégrer des élèves différents, fini les bons et les mauvais élèves, fini l’échec et les sanctions, fini l’école !!!
Il est désormais assez connu qu’on ne devient pas intelligent en écoutant un.e enseignant.e placé.e sur une estrade (voir illustration ci-dessus), ce serait trop beau !!! Mais que conserver de cette thèse ? Cette thèse ne peut pas être entièrement suivie à mon sens puisqu’elle semble considérer principalement l’acquisition de connaissances/compétences liées à des matières et des disciplines. Or, l’acquisition à l’école de compétences plus difficilement mesurables (travail en équipe, capacité à gérer ses émotions, à résoudre des problèmes complexes, etc.) est tout autant si ce n’est plus importante. Un système qui défendrait l’école comme lieu où seules des connaissances/compétences disciplinaires doivent être développées se fourvoierait gravement. Par contre, il est vrai que l’évolution technologique va amener d’autres acteurs et actrices dans l’écosystème scolaire avec des généticien.ne.s, neurobiologistes, neuro-électronicien.ne.s, neuro-éthicien.ne.s, spécialistes de l’intelligence artificielle et autres ingénieur.e.s éducationnel.le.s et médecins spécialisé.e.s en neuro-pédagogie. L‘acquisition de connaissances/compétences disciplinaires va connaître ces prochaines années des changements radicaux du point de vue de la didactique car la combinaison des neurosciences, de la biotechnologie, de l’informatique et des sciences cognitives vont faire entrer l’école dans l’apprentissage à l’ère 4.0 laissant l’enseignant.e non pas sur la touche, mais dans un autre rôle. Un rôle profondément scientifique dans l’acquisition de connaissances et compétences liées aux disciplines, mais toujours un rôle d’artisan lorsqu’il s’agira de préparer l’élève aux véritables enjeux qui l’attendent à la sortie de sa formation : pas seulement savoir et savoir-faire, mais surtout savoir-être.
En résumé, la destruction de l’école n’est certainement pas une fatale conséquence de l’évolution technologique . Mais en effet, l’école pourrait bien disparaître et laissée à d’autres acteurs que l’Etat (voir aussi un article précédent ici) si elle n’est plus en mesure à court terme de corriger les inégalités et d’intégrer. Pour prendre ce virage, deux piliers fondamentaux sont à rénover rapidement et radicalement à l’aune de l’évolution technologique : les objectifs prioritaires poursuivis et le rôle des enseignant.e.s.
Laurent Feuz
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